Cameroun : Paul Biya, le «roi»

Alors que toutes les têtes autour de lui tombent, le Président Paul Biya reste toujours en place. Son récit est celui d’un régime discret où la kleptocratie, c’est aussi l’art de rester au pouvoir. Quitte à utiliser la bonne gouvernance comme prétexte pour jeter ses adversaires sous les roues du bus.

Paul Biya a toujours été un bon élève; du secondaire au Lycée général Leclerc à Yaoundé jusqu’aux bancs de la Sorbonne, où il obtiendra une licence en droit. Son parcours scolaire semble être comme sa présidence: apprendre les règles pour les retourner à son avantage.

Paul Biya est arrivé au pouvoir en 1982 après la démission du président Amidou Ahidjo, le seul depuis l’indépendance en 1960, pour des raisons de santé.

Après une série de contentieux qui se termine par une condamnation par contumace contre le président sortant accusé de coup d’État en 1984, Paul Biya prend le contrôle de l’appareil de l’État, éliminant l’ancienne garde. Et depuis, il garde les mains fermes sur le gouvernail, n’hésitant pas à jeter en pâture les ambitieux qui s’approchent trop près du pouvoir. Il n’a jamais pris les armes et a gravi les échelons patiemment. Mais une fois en haut, il n’a pas l’intention de partager. Et c’est entouré de sa femme Chantal qu’il contrôle toutes les ficelles du système.

Un père discret, une famille un peu moins.

Paul Biya n’est pas un adepte du luxe ostentatoire. Dans son entourage immédiat, on le présente comme un homme peu attaché aux objets de valeur, conforme à l’image qu’on se fait d’un fils de catéchiste.

Ses proches, un peu moins, n’hésitant pas à exhiber une vie luxueuse. Comme sa fille ainée, Brenda Anastasie Biya. Alors qu’elle menait ses études aux États-Unis, elle habitait une villa de luxe dans le quartier cossu de Beverly Hills. En 2016, très furieuse sur les réseaux sociaux, Brenda Biya dénonce le mauvais traitement infligé par un chauffeur de taxi, se targuant de payer son taxi à hauteur de 400$. De retour au Cameroun, la première fille continuera d’exposer son train de vie fastidieux sur les réseaux sociaux.

Brenda et Chantal Biya dansent avec Wizkid pour la fête de Nouvel an 2020

En janvier 2020, Brenda Biya, entourée de sa mère reçoit l’artiste nigérian Wizkid pour un concert privé dans les appartements privés du couple présidentiel. Son séjour aura couté environ 72 millions de FCFA (144 000 US$).

Et il n’y a pas seulement que la famille qui profite. Paul Biya s’est entouré, au sommet de la république, d’un réseau de fidèles.  

Depuis son arrivée, il a placé ses amis à des postes névralgiques comme les renseignements, l’armée, la gendarmerie, les administrations stratégiques. On parle ainsi de l’Axe Nanga et, en face, de l’axe Bulu pour designer ces réseaux proches du Chef de l’Etat, dont fait partie, par exemple, Jean Fame Ndongo avec plus de 16 ans comme Ministre de l’Enseignement Supérieur.

L’Opération Épervier : jeter en prison, pour mieux régner.

Le premier ministre Inoni Ephraïm a voulu faire du ménage. Et il a permis de mettre au jour le gaspillage dans les arcades du pouvoir avant de se faire lui-même balayer.

En 2006, Ephraïm a été un des architectes de l’Opération Épervier, une vaste campagne judiciaire initiée dans le cadre de la lutte anti-corruption par le président de la République. L’objectif : mettre un frein aux pratiques des hauts fonctionnaires qui n’hésitent pas à piger directement dans les coffres de l’État.

En tout, au cours de l’Opération Épervier, une trentaine de proches du pouvoir sont incarcérés principalement dans les prisons centrales de Douala et Yaoundé, pour détournement de derniers publics, d’après le « document détaillé de l’Opération Épervier, établit par ADISI- Cameroun ».  

Quelques affaires tranchées au cours de l’année 2019

NOM DE L’AFFAIREACTEURS PRINCIPAUXMONTANT DETOURNES EN CFANOMBRE D’ANNEES DE PRISON
Essimi Menye
Détournement de 2,5 milliards de FCFA au défunt expert-comptable, François Tchakui, pour l’audit effectué sur les activités de la Société Générale de Surveillance.
Essimi Menye
François Tchakui
2 500 000 000Condamnation à vie
Essimi Menye
Détournement de 938 millions de FCFA via un versement sans contrepartie de la somme indiquée au cabinet Challenger Audit Firm Corporation détenu par l’ex expert-comptable François Tchakui
François Tchakui
Essimi Menye
938 000 000Condamnation à vie
François Tchakui est décédé au cours du procès
François Tchakui est décédé au cours du procès
CFC et RAV/ CRTV
Etat du Cameroun contre Polycarpe Abah Abah
Détournement en coaction de 7.8 milliards de Fcfa au Crédit foncier
Détournement de 18 milliards Fcfa dans les budgets de fonctionnement de la CRTV en 2004 et 2005
Polycarpe Abah Abah,
Joseph Edou, Manga Pascal, Mbala Hélène, Evina Nyangono Sylvie, Me Lydienne Eyoum, Ntenlep Ntenlep, Raphaël Meke, Gervais Mendo Ze
18 000 000 000 25 ans (13 janvier 2015)
18 ans (20 mars 2019
PAD
Etat du Cameroun contre A. Siyam Siwe
40 milliards FCfa de fonds détournés au PAD au travers de décaissements sans justification, primes de carburant, marchés publics pour l’achat de véhicules passés sans appel d’offres, véhicules cédés pour le franc symbolique aux responsables du PAD, ventes aux enchères fictives, parc immobilier dilapidée – prison à perpétuité pour Siyam Siwé
A. Siyam Siwe
E. Etonde Ekotto et 11 autres personnes
40 000 000 000 10 ans de prison pour François Marie Siewe
Acquittement pour Etonde Ekoto et 10 autres
Essimi Menye
Détournement de de 2,3 milliards FCfa, fruit de la liquidation de 03 sociétés d’Etat : REGIFERCAM, ONPC et ONCPB
François Tchakui
Essimi Menye
2 300 000 000Condamnation à vie

Ces anciens gestionnaires de l’État sont pour la plupart condamnés pour avoir détourné des fonds publics qui se chiffrent à des centaines de milliards de F CFA depuis 2006. Certains accusés de détournement, appelé « faute de gestion » par le Contrôle Supérieur de l’État, restent toujours en liberté pour des raisons uniquement connues par le président de la République qui est jusqu’ici, le seul à faire instruire les dossiers aux juridictions, notamment le Tribunal criminel spécial (TCS) crée pour juger des crimes économiques de plus de 500 millions de F CFA.

La première condamnation est tombée en septembre 2007 contre Gilles Roger Bélinga et ses acolytes, pour détournement, coaction et complicité de détournement de deniers publics, ainsi que tromperie envers associés à la Société immobilière du Cameroun (SIC), d’une valeur de 2 milliards F CFA.  Bélinga et 21 coaccusés, dont Hamadou Ousmanou, Paul Eyebe Lebogo, Annie Ngandjeu, epse Njiki, Sylvain Tchombe, Nama Nsimi, Dieudonné Ossombo ont écopé  de  20 ans de prison en appel. 

Plusieurs ont suivi. En 2012, c’est au tour d’Urbain Olangena Awono, Maurice Fezeu, Awono, Maurice Fezeu, Hubert Wang, Rose Chia Banfegha et 10 autres co-accusés d’être condamnés à des peines de 10 à 20 ans de prisons pour détournement de 80 millions F CFA , mis à la disposition du Cameroun par le Fonds mondial de lutte contre le Sida, le Paludisme et la Tuberculose, détournement par assimilation de 122 millions F CFA, pour la livraison de dépliants et gadgets et détournement de 6,3 milliards de gestion du Comité national de lutte contre le Sida. 

Et, toujours en 2012, ce sera au tour d’Inoni Ephraim qui sera arrêté, puis condamné, dans une affaire impliquant la gestion des créances de la défunte Cameroon Airlines[MB(-PR1] [U2] . Au Cameroun, on y voit un règlement de compte du fait de sa proximité avec l’ancien Secrétaire général de la présidence de la République, Marafa Hamidou Yaya. Yaya a été condamné en 2016 après un procès de 20h pour complicité passive dans le cadre de l’affaire de l’avion présidentiel. Il a été accusé de « complicité intellectuelle », un motif qui n’existe pas dans le Code pénal.

Procès politiques ?

En 2019, six affaires ont été tranchées, avec de lourdes peines, allant jusqu’à la condamnation à vie.

Inoni Ephraïm et Marafa Hamidou Yaya avaient tous les deux des ambitions politiques. Et pour beaucoup de Camerounais, ces multiples affaires ne visent pas à lutter contre la corruption, mais à condamner ceux qui visent de prendre la place du président. Plusieurs de ces personnalités condamnées sont reconnues par certains organismes internationaux comme des prisonniers politiques notamment le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CLP2).

À la fin, l’Opération Épervier aura permis une épuration politique autour du pouvoir, sans que le clan présidentiel n’en soit inquiété. L’État du Cameroun n’aura récupéré que des miettes sur toutes les sommes volées par les haut responsables et transférées dans des comptes secrets. Jusqu’ici, cette justice tarde à faire revenir ses fonds dont une grande quantité se trouve désormaisà l’étranger, devenant ainsi intraçable. Le procès de Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya contre l’État du Cameroun a démontré les différents circuits empruntés par des fonds détournés au Cameroun, mais surtout comment les fonds finissent par devenir hors de portée pour les enquêteurs camerounais.

Un président gagnant, des citoyens perdants

En avril 2019, le Tribunal Criminel Spécial (TCS) estimait à 6 000 milliards FCFA, soit une fois et demie le budget 2019 de l’État du Cameroun, le montant détourné durant les sept années de son existence dans les différentes administrations publiques du Cameroun. Ce montant correspond à plus du double de toute les sommes impliquées dans l’Opération Épervier en 2006.

Pendant que certains cadres sont inquiétés, les entreprises contrôlées par le président échappent aux contrôles ordinaires de l’État et leurs comptes ne sont jamais audités. C’est le cas de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) ; non seulement les contrats pétroliers sont tenus secrets, le Secrétaire général de la Présidentielle de la République est toujours et depuis des lustres, le Président du Conseil d’Administration de cette structure qui brasse beaucoup d’argent et est l’œil du président de la République. Plusieurs dépenses de la famille présidentielle sont faites directement à partir de fonds puisés au sein du mastodonte pétrolier. 

Malgré tout ceci, Paul Biya a verrouillé tout le système électoral et institutionnel. Il continue de vivre confortablement avec sa famille, tandis que les Camerounais restent dans la pauvreté dans un pays souffrant d’un déficit dans tous ses services de base : santé, éducation, industrie, infrastructure. Et ce, dans un contexte où les inégalités ont entrainé une crise dans les régions anglophones.

Pourtant, le Cameroun est le seul pays d’Afrique centrale à avoir une économie diversifiée qui pourrait apporter à tous un minimum pour vivre. Il constitue d’ailleurs le plus grand marché de la zone CEMAC. Il regorge de ressources dans son sous-sol (pétrole, or, diamant, fer, manganèse, bauxite) et sur son sol, dont la plus grande forêt du bassin du Congo. Le pays a aussi plusieurs ports de mer, faisant du Cameroun un point stratégique dans le Golfe de Guinée.

Le président et ses proches tirent profit de ces ressources au dépents des citoyens. Et ils n’ont pas l’intention qu’elles leur glissent entre les doigts.

Quiconque vise le trône du roi perdra accès à cette manne et sera mis hors-circuit. Au Cameroun, il vaut mieux se taire et s’enrichir pour ne pas perdre ses privilèges.

Marie Louise MAMGUE et Paul Joel KAMTCHANG

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